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Qatargate, trois ans après : du « scandale du siècle » à l’impasse judiciaire

Trois ans après les perquisitions policières spectaculaires visant à révéler un réseau de corruption sans précédent au sein du Parlement européen, l’affaire dite Qatargate apparaît de plus en plus fragile. Ce qui avait été présenté en décembre 2022 comme un coup décisif contre l’influence étrangère—prétendument orchestrée par le Qatar, le Maroc ou la Mauritanie—risque désormais de s’effondrer sous le poids des vices de procédure, des méthodes contestables et des preuves non résolues.

Au cœur de l’affaire se trouvaient des arrestations très médiatisées : l’ancien député socialiste italien Pier Antonio Panzeri ; son assistant de longue date Francesco Giorgi ; et Eva Kaili, députée grecque et vice-présidente du Parlement européen.

Des images de valises remplies d’argent ont fait le tour du monde, renforçant le récit d’une vaste organisation criminelle corrompant la démocratie européenne. Mais trois ans plus tard, l’issue judiciaire reste incertaine, et les fondements mêmes de l’enquête sont ouvertement remis en question.

Médias, police et justice : une proximité inhabituelle

Des documents désormais examinés par la Cour d’appel de Bruxelles révèlent un degré troublant de coordination entre enquêteurs, procureurs et journalistes choisis. Bien avant les premières perquisitions, des hauts responsables de la police auraient rencontré discrètement des reporters du Le Soir et de Knack. Des articles brouillons ont été partagés avant les perquisitions et les arrestations, incluant des détails sensibles tels que l’identité des suspects et l’ampleur des opérations policières.

Cette proximité soulève une question centrale : les journalistes étaient-ils simplement bien informés, ou faisaient-ils partie d’une stratégie de communication destinée à maximiser l’impact public ? Les fuites étaient si précises que même des responsables policiers de haut rang ont admis plus tard être surpris de voir des chiffres exacts publiés avant que l’argent saisi n’ait été officiellement compté.

Une affaire construite sur des fuites

Dès le départ, Qatargate s’est déroulé dans la presse presque en temps réel. Des procès-verbaux d’interrogatoire confidentiels, des mandats de perquisition et des hypothèses d’enquête se sont retrouvés dans les titres, presque tous pointant dans la même direction : la culpabilité. Pendant plus de deux ans, ce flux continu de fuites a façonné la perception publique bien avant que tout procès puisse avoir lieu.

En réponse, une enquête interne a été lancée en 2023 par l’organe de surveillance de la police belge. Elle a conduit à l’arrestation et à la mise sous supervision judiciaire de Hugues Tasiaux, responsable de l’unité anti-corruption supervisant l’affaire. D’autres figures clés—y compris des procureurs seniors—ont été interrogées comme témoins. L’enquête suggère que les fuites n’étaient ni isolées ni accidentelles, mais systémiques.

Des preuves qui ne se sont jamais pleinement matérialisées

Malgré l’ampleur de l’opération, les enquêteurs n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’une organisation criminelle structurée. Aucun paiement direct de Panzeri à plusieurs des députés accusés n’a été prouvé. Les dossiers impliquant des intermédiaires marocains et qataris ont été clos. Les autorités judiciaires grecques et italiennes ont également abandonné les procédures connexes faute de preuves fournies par la Belgique.

Même les déclarations de Panzeri—centrales pour l’accusation—sont de plus en plus contestées. Initialement, il a décrit des activités de lobbying non déclarées et admis fraude fiscale et blanchiment d’argent, tout en niant avoir corrompu quiconque. Ce n’est que plus tard, après avoir appris que sa femme et sa fille avaient été arrêtées en Italie, qu’il a modifié son récit, impliquant d’autres en échange de clémence. Son statut de « repenti » lui a été accordé rapidement, bien que jamais formellement validé par un tribunal.

Erreurs de procédure et lignes de faille éthiques

L’enquête est également marquée par de graves erreurs de procédure. Panzeri a été interrogé sans assistance juridique appropriée. Les principaux suspects ont été détenus ensemble, leur permettant de coordonner leurs récits. Un enquêteur a ensuite été sanctionné après que des propos enregistrés secrètement ont révélé un profond scepticisme quant à la crédibilité de Panzeri—des commentaires qui n’ont pas modifié le cours de l’affaire.

Par ailleurs, le juge d’instruction initialement en charge a été contraint de se retirer pour conflit d’intérêts, et plusieurs figures judiciaires seniors impliquées dans le lancement de Qatargate ont depuis été réaffectées à d’autres postes. Ce remaniement n’a fait qu’alimenter les soupçons d’inconfort institutionnel autour de l’affaire.

De Qatargate à « BelgianGate » ?

Alors que la Cour d’appel de Bruxelles examine désormais la légalité même de l’enquête, la possibilité d’un abandon général plane. Un procès équitable, selon les critiques, pourrait ne plus être possible après des années de fuites partiales et d’exposition médiatique.

Ce qui avait été annoncé comme un moment historique dans la lutte contre la corruption en Europe risque de devenir une leçon sur les excès, l’orchestration médiatique et la fragilité de la crédibilité judiciaire. Qatargate confirmera-t-il finalement l’existence d’un réseau de corruption caché, ou exposera-t-il plutôt de profondes défaillances au sein de la justice belge ? L’avenir le dira.

Le jugement attendu dans les mois à venir pourrait déterminer non seulement le sort des prévenus, mais aussi si cette affaire sera moins mémorable sous le nom de Qatargate que sous celui de « BelgianGate ».

Cet article est une analyse réécrite basée sur un reportage initialement publié par Jean Quatremer dans Libération.

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